Ancrage formes sacrées traditionnelles
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Mythe, rêve et création
A une époque lointaine, la pratique d’animer les figurines sculptées était courante. Provenant de l’Egypte pharaonique, elle appartenait aussi aux pratiques négro-africaines.
Le mythe, la légende et le conte révèlent la première marionnette (née au temps du rêve) à travers la tradition orale. Cette naissance, toujours extraordinaire, est expliquée de bien des façons :
Au Gabon, c’est une statue de bois animée par son sculpteur qui, après une vie éphémère, revient à son état initial d’arbre.
Au nord Togo, chez les Gourma, l’on raconte ainsi la naissance de la marionnette : quand le Grand Dieu créa l’homme, ce dernier ne croyait qu’en Lui. Toutefois, il ne voyait pas son créateur, ne pouvait pas le toucher pour lui témoigner sa reconnaissance. Aussi, il créa un représentant auprès du Grand Dieu. Mortels, ils furent remplacés peu à peu par des statuettes de bois sacré appelées Tchitchili (esprits des ancêtres) qui interviennent dans la vie spirituelle togolaise au cours de l’initiation, des rites agraires, du culte des ancêtres.
Ces sources orales de l’existence mythique de la marionnette contrastent avec son histoire et leurs examens attentifs autorisent cette certitude : même rénovée, la marionnette demeure un fait archaïque dont l’origine africaine contredit la théorie selon laquelle elle serait née d’une acculturation datant de l’époque coloniale (Darkowska, Inalco 38,29)
Marionnettes, statuettes, masques sont les supports de pratiques rituelles telles que la conciliation et la conjuration des ancêtres, des génies, des esprits rôdeurs et des forces célestes. Situés au centre de la pratique religieuse, ils ont une place éminente dans l’explication du monde qu’offrent les mythes, les légendes, les contes et les rêves. C’est à eux qu’il faut avoir recours pour les précisions qu’ils contiennent sur leurs origines mais aussi pour les éléments qu’ils fournissent sur le rôle qu’ils tiennent dans les institutions.
L’homme de ces sociétés africaines se déclare le résultat d’un certain nombre d’événements mythiques qui constituent, à ses yeux, une histoire sacrée dont il doit périodiquement réactualiser une assez grande partie par l’intermédiaire des rites qui reflètent à leur tour cette réalité mythique. La connaissance des mythes offre une explication du monde et fonde l’ordre social ; les vivre implique une expérience différente de la vie quotidienne qui exprime, rehausse et codifie les croyances.
Dans ce monde qui possède une valeur absolue, il est nécessaire, pour se connaître soi-même, de repérer les messages que l’univers envoie de façon continue aussi bien dans la vie quotidienne qu’au cours des moments de passages (rituels d’initiation). Dans ce cadre, le cosmos apparaît comme un monde qui parle, chargé de significations, porteur de messages, un partenaire avec lequel l’homme doit entretenir un dialogue presque constant s’il veut être renseigné sur lui-même (Zahan, 1970 : 129).
Rejoindre cette réalité mythique à travers le sommeil, ce moment de plus-vie puisqu’il fait accéder le dormeur à une sur-réalité, est une des nombreuses possibilités qui s’offre à l’homme dans ces sociétés. Celui-ci se heurte à cette réalité à tous les stades de l’organisation sociale (Bastide, 1976 : 28).
Parler de l’âme, du corps et du rêve c’est parler de la spiritualité de l’homme africain en envisageant chez les différents peuples du Togo et du Bénin dans lesquels vivent les différents maîtres de marionnettes (Gourma, Mina, Evhé, Ouatchi, Peda)… ce que Zahan (1970 : 13) nomme l’essence de la spiritualité africaine qui consiste dans le sentiment qu’a l’être humain de se considérer à la fois comme image, modèle et partie intégrante du monde dans la vie cyclique duquel il se sent profondément et nécessairement engagé.
Le possédé, le chaman, le rêveur deviennent ainsi des interlocuteurs privilégiés de l’autre monde qui parle et envoie des messages, des indices…Monde surnaturel, réalité autre dans laquelle cohabitent les divinités, les génies et les morts, qui entretiennent avec les vivants des échanges constants puisqu’ils forment un même groupe social dont ils sont les garants de l’ordre et de la cohésion. Gardiens des traditions, ils veillent sur leurs descendants et contrôlent le respect de la morale, l’observation des interdits, l’accomplissement des cérémonies ; ils agissent en véritables chefs et règlent ainsi les relations entre les membres de la communauté.
Entre le monde des mythes et le monde sacré auxquels le rêveur se rattache, et le monde social qui oriente et dirige la pensée onirique, il y a une réelle unité ainsi qu’entre les deux moitiés de l’homme, celle de la veille et du sommeil. Pour lui, c’est toujours le même monde. Il puise dans les mythes et les représentations collectives que sa culture lui offre, le contenu de ses rêves qui, à leur tour, alimentent ces représentations.
C’est aussi l’un des fils qui relie le monde surnaturel et celui des hommes qui font danser sur scène les marionnettes. Nées dans le conte, le mythe et le rêve, leurs fils relient tout naturellement le monde des Dieux et celui des hommes, calqué dans ces sociétés animistes sur l’ordre cosmique et mythologique, le haut et le bas étant construits sur le même modèle.
L’âme du rêveur erre dans cette région heureuse et calme où habitent les dieux, les génies et les ancêtres. De ce moment privilégié peut naître la forme d’une statue, d’un fétiche, d’une marionnette que les maîtres de marionnettes togolais de la première heure articulent et nourrissent de leur souffle, de leur voix, de leurs gestes le temps de la performance. Ils s’animent un moment et parlent aux spectateurs de la vie et de la mort, c’est-à-dire de deux réalités dans lesquelles ceux-ci se sentent profondément et nécessairement engagés.
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Masques et marionnettes
On évoque souvent le masque africain et rarement la marionnette or il existe un lien intime entre les deux. Marionnette et masque portent le même nom dans quelques langues africaines et chez certaines populations (les Bwete du Gabon central par exemple) où l’utilisation rituelle des marionnettes possède une valeur égale à celle des masques.
Masques et marionnettes, parfois taillés dans du bois sacré peuvent tous deux être l’œuvre du même sculpteur, faire l’objet d’un même enseignement initiatique, supporter les mêmes interdits. Les secrets qui donnent vie à ces créatures sont bien gardés. Dans beaucoup d’endroits, on considère traditionnellement que sculpter un masque ou une statuette est un acte fort qui met en œuvre des énergies puissantes. Seuls les forgerons sont autorisés à sculpter ces objets car on les considère comme seuls capables de maîtriser cette énergie grâce aux connaissances et aux pouvoirs qu’ils ont acquis au cours de leur initiation. Au terme de leur fabrication, les masques et marionnettes sont sacralisés. Ils sont alors chargés de valeur spirituelle. L’homme qui porte le masque (un initié) ou qui manipule la marionnette ou le fétiche peut alors entrer en communication avec les esprits.
Masques, marionnettes ou fétiches jouent également un rôle essentiel dans la société burkinabé. Avec de nombreuses variantes, ils racontent comment ils se sont introduits chez certains peuples. Chez les Bobo du Burkina Faso, le mythe sur l’origine du masque So Molo est l’un des plus riches connus. Il raconte le récit des circonstances dans lesquelles Wuro, le Dieu suprême démiurge, censé inspirer les révélations accordées aux hommes, a donné son « fils » Dwo aux hommes. Par l’intermédiaire des masques qui sont la manifestation concrète de sa présence, il est ainsi à la portée de chacun.
La création d’un masque en dehors de toute inspiration divine et son introduction dans un rituel sont des actes en principe formellement prohibés mais régulièrement introduits dans le répertoire témoignant du changement dans la société. Afin de disposer de nouveaux masques dans lesquels la divinité pourrait se reconnaître, de telles initiatives sont prises de longue date malgré la crainte des éventuelles vengeances de la part du Dieu Dwo. Quelques masques sacrés bobo sont habilités à porter d’autres masques (nonifiane, gwala, kekefuru, nwenkafurua, sibe molo) en certaines phases des cérémonies (Le Moal, 1999, 166).
L’histoire sacrée se continue ainsi, avec un monde mythique jamais totalement défini. Grâce à la connaissance des mythes que l’on acquiert au cours des rituels d’initiation, on arrive à les maîtriser, à les manipuler et à les enrichir.
Quel que soit l’aspect de la représentation –marionnette ou masque- , c’est l’existence de l’autre monde, peuplé de diverses entités spirituelles qui est évoqué ou actualisé par le truchement de ces figures rituelles. Celles-ci peuvent partager le même répertoire (rituel ou profane), s’exprimer d’une même voix modifiée, jouer côte à côte. Destinés à honorer les esprits, ils attirent leur bienveillance sur le village.
Les masques sont des sculptures animées en bois, en feuilles et autres matériaux auxquels s’ajoutent les tissus raffinés, les fibres colorées des costumes. Musique, danses, chants, acrobatie, magie, théâtre, mascarades, jeu de marionnettes, comédie, alimentent ces fêtes populaires riches, pluridisciplinaires avant l’heure, auxquelles toute la population participe.
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Formes profanes anciennes
A côté de la marionnette africaine traditionnelle aux multiples significations et fonctions rituelles, religieuses et sociales, l’on trouve en Afrique où les frontières (entre territoires et ethnies) ont souvent été poreuses, des formes profanes proches des marionnettes que nous connaissons, signalées çà et là dès le 14è siècle par des voyageurs, des explorateurs et plus tard par des administrateurs coloniaux.
Dans les années 1960 encore, le personnage de Tapioca, ce tchitchavi en bois (qui veut dire petit maître en anglais d’où l’hypothèse de son origine ghanéenne) dont le nom désigne la bouillie de fécule considérée au Togo comme aphrodisiaque, était très populaire. Koffi Gahou signale aussi sa présence au Bénin. Vicky Tskisplonou a vu dans son enfance des marionnettistes africains jouant en solo dans les villages. Mais ce personnage ne semble plus jouer actuellement.