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mon point de vue 

© Anita Bednarz 2020

 

Toute culture a ses formes d’expression dramatique et le caractère universel de  la théâtralisation spontanée   à tous les niveaux du comportement social, dont  Jean Duvignaud se fait l’écho dans son ouvrage Spectacle et société est indissolublement lié à la culture :

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En Occident, la relation théâtre/théâtralisation n’est pas une relation d’implication réciproque. Et les éléments théâtraux discernés dans l’exercice des rôles sociaux n’équivalent pas au jeu théâtral tel que nous l’entendons.  Celui-ci  est artificialité. Il se caractérise selon Duvignaud par   le fait qu’il est donné à voir  tandis que  le but du jeu social est d’être vu   même si le fait d’être vu n’en est pas la finalité.

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Le théâtre est  séparation entre le profane et le sacré. Il est par définition un lieu où l’on assiste à un spectacle, où l’on regarde.  C’est un lieu aménagé où Il y a dichotomie entre la salle et la scène.  Ce concept est aussi lié à celui d’un peuple à l’écriture. Il établit une différence entre l’auteur, les acteurs et les spectateurs. Il délimite l’espace et le temps.

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Mais en Afrique, dans ces sociétés semi- traditionnelles,  l’homme se déclare le résultat d’un certain nombre d’évènements mythiques qui constituent à ses yeux une histoire sacrée dont il doit périodiquement réactualiser une assez grande partie par l’intermédiaire des rites qui reflètent à leur tour cette réalité mythique. La connaissance des mythes offre une explication du monde et fonde l’ordre social.  Dans ce monde surnaturel cohabitent les divinités, les génies et les morts qui entretiennent avec les vivants, des échanges constants puisqu’ils forment un même groupe social dont ils sont les garants. Un certain nombre de relais institutionnels  qui assurent le respect de la morale, l’observation des interdits,  l’accomplissement des cérémonies,  la cohésion sociale et la paix du groupe, ont été institués. Les principaux acteurs sont les prêtres, les chefs de terre, les rois, les chefs… S’ils détiennent un pouvoir, ils ont aussi un certain savoir, celui des secrets de l’univers qu’ils partagent avec d’autres acteurs principaux censés apporter des réponses aux  questions et aux angoisses des hommes : les devins, les sorciers, les guérisseurs mais aussi certains hommes de caste : griots, hommes de masques, forgerons...

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Le regard neuf  de  Prosper Kompaoré  jeté sur la tradition   burkinabée dans sa thèse de Doctorat d'Etat Formes de théâtralisation de la tradition en Haute Volta, a   montré à travers de nombreux exemples comment la théâtralisation se situe à  tous les niveaux du comportement social : 

 

Tout ces personnages sont pour lui les principaux  acteurs de la théâtralisation du quotidien . Dans l’exercice de leur rôle de médiation entre la communauté des vivants et les puissances numineuses, ils ont recours à une gestuelle et à des paroles fixées par la tradition, la part d’improvisation est réduite au minimum. Toute religion est génératrice de drame. Dans chacun des rites (naissance, initiation, mariage, mort…), on peut se rendre compte de la construction théâtrale. Ils s’organisent en actes (ou séquences) dont l’enchaînement éclaire l’action dramatique, l’état ou le comportement des participants. Ces signes théâtraux correspondent à une conception spécifique du monde  qui fait de chaque signe, de chaque élément rituel ou festif, une hiérophanie, sacralité du geste théâtral.

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Ces rôles de pouvoir et de savoir, tout un chacun, dans la société burkinabée, contribue à la  dramatisation sociale  et la théâtralisation  se situe à tous les niveaux du comportement social.

Cette permanence d’une image dramatique repérée dans les différents éléments culturels de la société burkinabé par Prosper Kompaoré peut se retrouver avec des variantes dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest  où les comportements quotidiens qui n’ont pas beaucoup changé en zone rurale,   ne semblent  pas très différents. Si chaque culture a ses formes d’expression dramatique, l’on repère cependant une certaine universalité des formes théâtrales qui traduisent toujours les mêmes préoccupations : rapport de l’homme avec la nature, avec la société, avec le groupe.

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Son analyse du fonctionnement de cette théâtralisation traditionnelle  a repéré  trois dimensions suivantes : la théâtralisation du quotidien, la théâtralisation ludique et artistique, la théâtralisation rituelle et festive. Unités dramatiques, actions dramatiques, drames, jeux, manipulations de toutes sortes (fétiches, bois, tissus, marionnettes…), sont   des expressions qui reviennent le plus souvent lorsque l’on tente le repérage  des racines  religieuses où plongent les pratiques spectaculaires africaines actuelles.

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Ces différentes formes théâtrales qu'il a localisées à travers des unités dramatiques ne sont cependant pas toujours faciles à distinguer les unes des autres. Les fêtes calendaires saisonnières, profanes, se mêlent aux cérémonies religieuses et aux rituels ainsi qu’à d’autres formes de théâtralisation de la vie quotidienne. Au terme de théâtre traditionnel , il préfère la notion de théâtralisation  traditionnelle.

 

Ce constat est, à mon sens, non dénué de conséquences dans la pratique et l’évolution non seulement du théâtre burkinabé mais de l’ensemble des pratiques spectaculaires africaines.

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Malgré les mutations sociologiques dans toute l’Afrique de l’Ouest, ces signes sont encore en usage, avec des variantes, dans ces sociétés  encore ancrées dans une vie semi-traditionnelle.

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A la fin du 20ème siècle, ces idées  cheminent  à travers la pensée des intellectuels, des  créateurs et des  auteurs   qui s’en sont fait l’écho parce qu’elles  marquent de leurs empreintes  les contraintes actuelles et  futures  de l’évolution des différentes formes pratiques artistiques africaines  liées aux écritures, aux mises en scènes, à la participation des  différents publics et aux lieux de la représentation.

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Un détour  par  leurs réflexions éclaire  nos idées sur la marionnette africaine. Les auteurs qui  se sont penchés sur la genèse du  théâtre africain  ont souligné la complexité du thème au Colloque d’Abidjan sur le théâtre négro-africain en 1970 :

 

Ces manifestations traditionnelles,  dans lesquelles  ont été repérées et décrites   des unités  et des actions dramatiques ne sont pas,  pour certains, des formes de théâtre mais ne constituent  pas  non plus  une preuve de l’inexistence d’un  théâtre profane dans les cultures traditionnelles d’Afrique Noire. Lylian Kesteloot    affirme  que le  théâtre n’était pas que religieux...  et ... qu’il existait et qu’il existe encore un théâtre traditionnel profane… dont le but est le divertissement d’abord .                                                                                                                

Liées à des circonstances sociales bien déterminées, toutes ces formes de théâtre sont des formes de théâtralisation mais ne sont pas organisées sur le mode théâtral occidental.

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Certains,  Michel Valdenaire, Barthélémy Kotchy, considèrent que le théâtre est l’une des expressions dramatiques spécifiques de l’Europe et de l’Occident parce que son concept se fonde sur la distinction entre  l’imaginaire et le réel et que cette distinction, en effet,  ne semble pas avoir existé dans la tradition africaine si l’on veut bien se pencher sur la manière dont l’homme africain   considère sa spiritualité. L’Africain est  sensible   à la double nature de la réalité où existe un libre passage entre le concret et l’abstrait, le visible et l’invisible. D’où la difficulté d’approche et la mise en cause par B. Kotchy du concept de théâtre habituellement appliqué aux jeux dramatiques de l’Afrique traditionnelle, la contestation  du concept et la pratique du théâtre telle qu’elle a été imposée  de l’extérieur lors de la période coloniale :   En apportant le concept de théâtre et la pratique de ce jeu en Afrique, l’Europe a fait fi de l’environnement culturel et a imposé sa vision du monde aux Africains.

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Nous comprenons mieux alors  l’importance des choix dramaturgiques, idéologiques et sociologiques des hommes de théâtre qui ont la tâche difficile  de  renouveler la perception,  brisant  progressivement  les barrières de la vision quotidienne  en instaurant d’autres modes de relation – de participation - distanciée ou cathartique, allant jusqu’à faire éclater la distinction acteur/spectateur et à éliminer la structure théâtrale de la représentation, un langage des signes efficace étant  seul capable de transformer les hommes et le monde.

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Parce qu’il leur  faut garder dans un premier temps, l’un des repères fondateurs de la spiritualité de  l’homme africain, de son identité et de la cohésion du groupe -  la participation – (celle  qui permettait aux participants des rituels, la communion à travers un acte communautaire),  les hommes de théâtre proposent    un ensemble de tentatives diverses.

On pourrait mesurer, me semble-t-il,  à travers le projet esthétique de théâtre de la participation,     toute une gamme  de nuances de l’efficacité,  de l’utilité,  variable dans le temps,  qui irait  de l’acte théâtral  visant  un acte social fort, cimentant le groupe et ré-articulant l’individuel et le collectif, au  simple rapport social exprimant simplement son accord.

L’homme  de ces sociétés doit se saisir de ces moyens pour trouver à se signifier visiblement dans   le temps présent, l’histoire et son devenir.

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Pour beaucoup d’auteurs, c’est là que réside la difficulté d’approche d’une réalité théâtrale africaine multiple dans laquelle j'inscris notre réflexion sur  la pratique spectaculaire de l’art de la marionnette africaine.

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Son art nous  entraîne dans  une même interrogation   dans la mesure où sa naissance  expliquée de façon mythique, sa pratique retrouvée  tantôt dans la vie profane et traditionnelle tantôt sacrée,  mélangée  à l’apport de l’expression culturelle française et maintenant aux cultures mondialisées, troublent  nos maîtres de marionnettes dans leur pratique et leurs spectateurs.

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Comment   l’Africain regarde -t-il et  participe-t-il  à   la représentation  que les pratiques spectaculaires lui proposent maintenant alors que les images dramatiques quotidiennes des manipulations de toutes sortes (fétiches, poupées, morts, morceaux de bois, tissus, marionnettes sacrées  et profanes traditionnelles, objets de toutes sortes...), brouillent la lecture de ces images ?

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Des réactions confuses  naissent aussi au moment de la création et de la manipulation chez nos maîtres de marionnettes. Ces images  engendrent une querelle symbolique qui s’ajoute à la crise symbolique que vit la société et l’homme engagé dans une telle expérience, habitué à la perception immédiate d’une  réalité transcendante, voit confondu  deux sortes de sens ancrés en lui :  profanes et   spirituels. Ce contact intime entre l’homme et son univers et  l’articulation de l’individuel et du collectif sont constants  grâce au langage et  à une pratique symbolique servant à réaffirmer périodiquement l’unité de la société.

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La   pratique spectaculaire de la marionnette africaine  complique  sa ou ses  définitions et son approche. Nous sommes loin de pouvoir vous offrir l’étendue  des mots relevés ici et là, partout différents et toujours un peu les mêmes…  pour désigner «  les trois mille et quatre-vingt mensonges» d’une définition impossible :

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Marionnette, objet animé fétiche, figurine, statuette,  masque, statuaire animée, poupées, poupon, demi- dieu,  silhouette, statuette articulée, ombre, objet- acteur, personnage- acteur, marotte, mannequin, objet- matériel, Dieu- chose, homme- marionnette, marionnette habitée,  sculptures, jouets, petit homme, fils de l’homme, image de l’homme rêvé, sur-marionnette,  instrument de musique marionnette, super- marionnette, mi- marionnette mi-masque,  marionnette habitable, bonhomme, la chose qui ne ferme pas les yeux, épouvantail, objet magique, pantin, castelet, marionnette portée, statuette animée, statuette parlante,  castelet portable, revenant, jouet, poupée-jouet, pantin articulé, petite personne, l’enfant africain, jouet articulé, marionnette sur masque heaume, objet transitionnel, venue de la brousse, bouche qui ne parle pas, dents découvertes, qui danse en s’élevant et se balançant, la femme me l’a donnée, ne le dis pas aux femmes, bonhomme, effigie, les gens en bois, mannequin, hochet, statue, marionnette habitable, poupée divinatoire, grande marionnette masquée, petite marionnette en cage, fantoche, objet-être, objet marionnette, image marionnette, gaine, ombre, être-objet, marotte habitable, marionnette à tige, marionnette à gaine, objet dansant, bâton de danse, marionnette à planchettes, marionnettes sculptées, bois, bateau-joujou, maison-joujou, instrument de musique joujou, statue de fétiche à bois, guignol, effigies à plusieurs têtes, petite femme, marionnette-coiffe, ancêtre, marionnette zigzag, marionnette sur carriole, masque de main, marionnettes fixées à un bandeau frontal, masque canne à pêche, marionnette à tringle, poupée reliquaire, marionnette corporelle, masque marionnette, les petites enfants, poupée de fertilité, poupée-fétiche,  enfant de bois, enfant, poupée de masque, pantin danseur, effigie d’ancêtre, fantôme, trompe-marionnette, génie de bois, masquette, marionnette statuette thérapeutique, marionnette mortuaire, marionnette à transformation, enfant de la magie…

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Ces difficultés, mes hésitations partagées avec O. Darkowska-Nidzgorski,    et finalement   notre choix, ici, de la simplicité  des seuls mots marionnette  africaine fonde l’espoir de  nous faire comprendre de tous  si nous voulons  poser les jalons d’une  histoire   qui commence à s’écrire  à l’époque globalisée alors que  l’Occident lui-même  s’interroge maintenant sur l’emploi  du mot   marionnette  devenu trop restrictif puisque tout est devenu maintenant    ‘marionnettique ‘.

 

Si  les traditions d’Europe, d’Asie  et d’ailleurs  ont eu besoin de nombreux siècles pour se définir, l’art de "la jeune" marionnette africaine tel que l'Occident,  mais aussi certains Africains, semblent l’entendre depuis quelques décennies,  offre   à  l’observateur privilégié un regard  unique, complexe, sur  la naissance et les traces d’une vieille expérience universelle de la marionnette toujours transmise.

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© Anita Bednarz 2020
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