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La toilette du défunt

le mort manipulé

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Même sans être articulés, ces mannequins, poupées, sculptures, effigies…,  sont rarement conçus pour une pure contemplation. Ils sont destinés à être mis en mouvement, ce qui fait d’eux des marionnettes potentielles. Beaucoup sont sculptés dans du bois ; certains sont taillés dans du bois sacré comme les fétiches. Ces sculptures peuvent être confiées à un spécialiste   ou à un sculpteur forgeron qui va se purifier, observer l’abstinence sexuelle, faire des offrandes  avant d’entreprendre son travail dans un endroit isolé. Leur étude apporte des lumières nouvelles sur la question du marionnettisme africain. (Marionnettes en territoire africain, 1991 : 18).

 

A Moukouan, ce petit village Mossi,    la première  fille sur qui s’adossera le défunt  et trois autres membres de la famille aideront celui-ci …encore vivant mais plus tout à fait terrestre… à pratiquer sa toilette (Naze, 1961/62 : 4) :

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Dans un petit coin de la case mortuaire, la première fille du défunt s’assied sur une natte. Elle reçoit  le corps de son père,  tenu assis, légèrement adossé contre elle. Trois personnes de la famille du disparu la rejoignent et ensemble elles prennent   la main droite du cadavre, la plongent dans un petit vase contenant l’eau tiède et disent :

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"Noaga, lave-toi"

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(Les deux premières personnes prennent à tour de rôle un rasoir et coupent chacune une touffe de cheveux sur le front  du cadavre. La troisième personne rasera entièrement la tête).

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Enduit de beurre de karité fondu, le corps rendu plus souple, est revêtu d’un pantalon blanc, couleur des ancêtres exprimant la paix, la tranquillité mais  aussi associée au malheur, au regret. Puis il est couché dans la case sur une peau de bœuf, les pieds tournés vers la porte (position interdite à toute personne vivante),  couvert de vêtements divers prêtés par les filles et les femmes  du village.

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Sur ce visage figé et sans vie, un masque jette maintenant le trouble et trahit ses relations avec le surnaturel. Il est la marque de son retour à un être profond, intérieur. Mécaniquement,   réduit maintenant   à une économie de signes (se laver, se tenir debout), le mort est agi par sa fille qui se tient à ses côtés ; tous deux donnent le sentiment d’un mystère d’où émane une grande force dramatique.  Ecoute, emprise,  regard,   centrés sur un monde et un espace qui n’étaient auparavant pas du tout perçus, font émerger magiquement un sens :

 

« Saisis-tu ce que je dis ? »

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Dénaturalisés, dépsychologisés, ces  gestes justes    symbolisent  et essentialisent  l’expression des  quelques mouvements de l’âme du défunt.

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Ce   sont  les seuls intermédiaires du pays des statues  et des masques convoqués aussi par Craig (De l’art du Théâtre, 2004 : 24-94)  dont le paradoxe a été de les valoriser pour affirmer la supériorité du théâtre de mouvement. Ils nourrissent maintenant  les gestes et l’expression de celui qui, au pays des acteurs d’un authentique théâtre d’art,  aurait eu toute sa place.

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Le masque de son visage au moyen de ses traits maintenant inanimés et l’immobilité de son corps  le rendent  semblable à une marionnette originelle, sacrée, dont les vertus essentielles sont le silence et la symbolique du geste. Dans l’obéissance, elle  attend  que son maître la  fasse jouer. Elle ne fait pas semblant d’être de chair, elle  produit « un geste inimitable », chargé d’une valeur cérémonielle. Mais elle ne rivalisera pas avec la vie, elle ira au-delà ;  elle ne figurera pas le corps de chair et d’os mais le corps en état d’extase et tandis  qu’émanera d’elle un esprit vivant, cette « sur-marionnette »,   chère à Craig, se revêtira d’une beauté de mort.

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Le corps normal est maintenant affranchi  de certaines limites. Le nouveau ne parle plus mais agit. Il  produit une sorte d’illusion, un espace imaginaire commun à tout le groupe qui projette dans ces signes,  un sens, des valeurs. La marionnette intérieure révèle ici  quelque chose (elle dit une vérité) du rapport social – parce qu’elle fait lire la manière dont on se comporte  socialement lorsque l’âme du mort suit le chemin mystérieux qui la  mène vers le pays de ses ancêtres.

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Dans cet état de l’entre-deux, la première fille, la famille, son entourage  le préparent pour ce grand voyage, vers le pays des morts d’où serait originaire, pour certains Africains (Ibibio), le théâtre de marionnettes.  Il s’y donnerait, dit-on,  régulièrement des représentations (Darkowska, 1998: 9). 

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© Anita Bednarz 2020
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