faux corps, doubles mortuaires
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Assemblages de matériaux divers, terre, chiffons, fibres, … ayant ou non appartenus au mort, cheveux et rognures d’ongles, … ces doubles funéraires, substituts du masque, sont des objets- marionnettes dont la forme représente la physionomie du cadavre.
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Corps matériels qui possèdent en eux pour un certain temps une trace, monde artificiel des objets que l’homme espère faire parler depuis l’aube de l’humanité, ils possèdent le statut de sujets et en tant que tels, ils suscitent l’intérêt de l’homme. Figurés ou abstraits, ils sont proches du concept très général qui recouvre tout ce qui se produit actuellement sur nos scènes occidentales à la suite de l’épuisement de la marionnette (Jurkowski 2000 : 181-199).
Dans la pensée surréaliste (Bartoli-Anglard 1989 : 9) qui appartient à tous les âges (et à tous les continents –comme le dit André Breton), ces objets composent par leur présence et leurs rapports fortuits, un réseau de sollicitations. L’intuition de ces correspondances explique une attention toujours en éveil, une attitude d’affûts. Ce « dépaysement » des objets a plusieurs conséquences : tout d’abord, il désarticule l’équilibre du monde, crée un univers « paranoïaque » d’où l’on entre et d’où l’on sort à volonté - ce qui permet, en Occident, l’attitude critique. Faits dans toutes sortes de matériaux (bois, fer, pierre, cire, fleurs, feuillages…), et assemblés (ou transformés, détruits, perturbés, déformés…), ils donnent une existence concrète à l’imaginaire et à l’hallucination en repoussant les frontières du réel.
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Si André Breton et les surréalistes sont surtout soucieux d’abattre les frontières qui séparent l’état de veille de tous les états seconds, de permettre l’irruption onirique dans la vie, d’offrir à l’existence humaine les possibilités infinies du rêve (Abastado, Deltel 1986 : 114-148), dans ces sociétés africaines, parler de l’âme, du corps et du rêve, revient à parler de la spiritualité de l’homme africain (Zahan 1970 : 19-20). Le rêve constitue aussi bien une expérience individuelle qu’un mode de communication avec un autre monde mythique, dans lequel vivent les ancêtres, les génies et les divinités. Rejoindre cette réalité mythique à travers le sommeil, ce moment de « plus-vie » qui fait accéder le dormeur à une « sur-réalité » (Bastide, 1972 : 5), est une des nombreuses possibilités qui s’offre à l’homme de ces sociétés qui se heurte à cette réalité à tous les stades de l’organisation sociale. Tout comme le rêveur, le possédé ou le chaman, ici les objets sont aussi des relais entre les hommes et l’Etre Suprême, chargés de véhiculer la force vitale. Ces entités mystiques ont une fonction protectrice et vindicative.
Le Kouré en pays Mossi (Naze, 1961-62 :19) :
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Le Kouré désigne l’ensemble des fêtes qui couronnent les funérailles faisant sortir définitivement l’âme du défunt de la communauté. Il a lieu un dimanche ou un mardi, 21 jours après l’enterrement pour permettre à l’âme du défunt (siga) d’entrer dans la société des ancêtres. Tout le village se prépare : dolo (bière de mil ou de sorgho), musique, nouveaux vêtements….
Au jour dit, à l’entrée de la concession du vieux Noaga défunt, ses armes (débris de l’arc, des flèches et du carquois brisés) veillent ici sur un faux corps déposé dans la case mortuaire par les fossoyeurs qui ont procédé à l’enterrement (lagdeba).
Cet objet, reposant sur la même peau de bœuf, à l’imitation du cadavre, est une «ruche » renfermant une motte de terre. Seules, trois notes d’un porteur de sifflet caché à l’intérieur de la case, donnent encore l’illusion aux hommes d’une « présence vivante » du mort. C’est lorsque les tams-tams font entendre un grand bruit suivi des cris de l’assistance que le kouré commence. C’est la levée du faux corps, le soir au coucher du soleil.
Les tam-tams se rangent devant la concession et entonnent un air lugubre. Les ensevelisseurs font sortir, enveloppé dans la peau de bœuf, la ruche qui a joué toute la journée la fonction de cadavre. Au signal donné par un vieux, deux hommes se saisissent du « faux corps » et prennent la direction de la tombe. Tout le monde suit au rythme de la musique. A un croisement de chemin, les hommes balancent la ruche trois fois et la déposent à cet endroit. On découvre tous les vêtements. La motte de terre est retirée et la ruche vide jetée dans la brousse. Les ensevelisseurs déposent à nouveau sur le chemin un petit vase et chacun des assistants doit y jeter de l’argent. Avant de se séparer on fixe le jour du kou-yibou, c'est-à-dire la fin des funérailles. Ce délai ne dépasse pas une semaine.
En pays Bissa (Boyarm, sans date : 12-16) :
La veille des funérailles, quelques vieilles femmes se regroupent dans la case de la première femme pour veiller le mort représenté par ses cheveux (Minka) conservés depuis le jour de l’enterrement. Ils sont enroulés en forme de petites boulettes puis enveloppés dans un pagne (Fouhou) qui sert de cercueil. On ne doit plus déplier ce pagne qui reste sous la surveillance des femmes jusqu’au matin des funérailles. L’on amène une noix de Karité dans laquelle on met un peu de cheveux puis la coquille est attachée à quatre bûchettes avec le reste de cheveux, le tout enroulé dans un pagne noir (goro) le jour de l’enterrement. Mais dès que ce faux corps s’approche de la porte de sortie, la foule pousse des cris et lui cède la place, il s’arrête devant le chef de famille pour un ultime interrogatoire ; il s’avance lorsque la réponse est positive et recule lorsque la réponse est négative. Le porteur rentre dans la foule et pousse certains gendres vers le chef de famille afin que celui-ci procède aux mariages de peur de désobéir à la parole du mort.
Puis le défunt salue l’assistance et le porteur se dirige maintenant vers la tombe où sont déposées les bûchettes et la noix de karité, le pagne est remis à la première femme. Le reste des cheveux est dispersé à un carrefour à 150 mètres environ d’une maison quelconque afin que le défunt puisse venir les chercher. Et si l’une des routes est impraticable, il pourra en emprunter une autre afin de ne pas laisser ses cheveux.
Le travestissement, ce corollaire à l’art de la marionnette, est pratiqué au cours de la cérémonie suivante. Il consiste à chercher parmi les femmes de la maison, celle qui était la plus familière avec le défunt et sans autorisation de son mari, elle est conduite dans la maison du défunt. Le premier fils fait sortir les habits de son père : boubou, bonnet, chaussures, bâton… que cette femme revêt. A la main droite, elle tient le bâton et un couteau à gauche. Après s’être habillée, elle sort et se mêle à la foule pour assister aux diverses manifestations. Cette femme prendra désormais le nom du défunt, elle séjournera dans sa maison et ne pourra rejoindre sa maison que huit jours après les funérailles…
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Cette façon de chasser l’âme du défunt rappelle la sortie du mort pour l’enterrement. Il s’agit de donner l’illusion à l’assistance que le pouvoir n’est pas vacant. Donné à une femme travestie, le commandement de la Cour Royale préserve la communauté d’une usurpation éventuelle.
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Habillée comme un leurre, cette femme voile les images réelles au profit d’un faux-semblant. Comme le masque, elle dissimule et métamorphose, fait rire et épouvante. Le drame transmue une réalité brute en mirage.
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