Un point de vue français
Le mot français marionnette est d’origine religieuse.
Marion, mariolette, mariol, mariotte … désignent la Vierge Marie et ses représentations plastiques (monnaie, instruments de musique à son image…) dès 1306. Marionnette apparaît au milieu du 16 ème siècle. Son sens s’étend à toute figurine de bois, sacrée ou profane, présente dans les églises, les rues, les processions... et aussi aux poupées utilisées en sorcellerie. Peu à peu, en Europe, le terme s’applique à toute effigie animée en vue d’un spectacle religieux ou profane. Le terme Marionnette est générique et rassemble, en français, les diverses techniques de manipulation. L’on parle de marionnettes à fils, à gaine, à tige(s), à tringle ou à la planchette même si certains types de marionnettes portent un nom spécifique tels le pantin ou la marotte (dérive aussi de Marie).
Des langues européennes, le réservent à la manière « noble » de désigner les marionnettes à fils : marionette avec un seul n en anglais, marionette en allemand, marioneta en espagnol, marionetta en italien même si l’on peut observer des acceptions plus larges. D’autres fois, le terme s'apparente au mot poupée : puppet, mammet, drollery, motion en anglais - Puppe en allemand - pupi, fantoccio (enfant) dans le théâtre de marionnettes sicilien mais aussi burattini (marionnette à gaine) - muñeca, titere dans un sens générique en espagnol, babka, kukla, lalka, ljal’ka, loutka…en langues slaves …Leurs techniques peuvent être extrêmement variées.
Les marionnettes à gaine se sont développées aux quatre coins de l’Europe : le Pulcinella italien, le Polichinelle, puis le Guignol français, le Punch anglais, le Kasperl autrichien, le Kasparek tchèque, le Hänneschen allemand, le Petruschka russe... Bien qu’appartenant au théâtre d’ombres, le Karagöz turc et son cousin grec Karaghiozis, font partie de cette grande famille.
On retrouve les variantes du théâtre de marionnettes à tringle sicilien (L'opéra des Pupi), en Espagne, en Flandres, en Wallonie et dans le nord de la France.
Un genre plus savant, associé à la marionnette à fils, se développe à partir du 17e siècle dans des théâtres fixes où les marionnettes interprètent des pièces tirées du théâtre d'acteur, des opéras et des ballets pour des publics aristocratique et bourgeois.
Le théâtre de marionnettes occidental du 20e siècle a été grandement influencé par plusieurs formes théâtrales asiatiques que l'Europe découvrait lors des grandes expositions universelles.
La marionnette à tige(s), si répandue aujourd'hui, vient de l'imposante tradition théâtrale javanaise (le woyang golek), avec l’autre forme théâtrale importante qu’est le wayang kulit, un théâtre d’ombres qui se retrouve tant à Java qu’à Bali. Alors que le théâtre bunraku du Japon, avec sa façon particulière de manipuler à vue les marionnettes, introduisait une nouvelle relation manipulateur/marionnette, voire une nouvelle conception de la représentation théâtrale.
Marionnettes, marottes, pantins, poupées… représentent des personnages anthropomorphes ou zoomorphes, réels ou imaginaires
Leur rôle peut être muet ou parlé. Figurine articulée ou non, en bois, papier mâché ou toutes autres sortes de matériaux (os, cuir ou terre cuite, beurre, calebasse, paille, coques de fruits, métal ou fil de fer.. puis papier et carton au 18e siècle) la marionnette peut être manipulée par une ou plusieurs personnes à vue ou traditionnellement cachées dans un castelet (élément de décor de théâtre de marionnettes servant de cadre à l'espace scénique) ou parfois visibles. Le langage et la convention au théâtre de marionnettes ont pour principe que la marionnette est un substitut du personnage dramatique dont les gestes et la voix quelquefois déformée proviennent d’un marionnettiste entièrement dissimulé aux yeux du public. Ce principe deviendra progressivement au 20 ème siècle un véritable carcan pour la plupart des marionnettistes. Seuls certains d’entre eux auront le courage de s’en libérer. (Encyclopédie internationale de la Marionnette, 2009).
Le théâtre de marionnettes, du moins en Europe, est quasi inexistant à la fin du 19ème siècle. Ses publics anciens, avant tout populaires, le contraignent la plupart du temps aux spectacles pour le jeune public. En tant que moyen d’expression neutre, la marionnette ne se rattache jusque-là ni à un style ni à un courant artistique.
Après la première guerre mondiale, le théâtre de marionnettes s’est développé autrement et ailleurs, à la frontière des arts plastiques et de l’art dramatique (Alain Recoing).
Progressivement, la marionnette devient un nouveau langage plastique dans la quête des formes abstraites que lui portent les artistes Futuristes, Dadaïstes, Expressionnistes, Paul Klee, Calder, Fernand Léger… Les personnages mis en scène par ces artistes portaient, par provocation, des noms d’objets ou de parties de corps humains traités comme des éléments autonomes à qui ils avaient donné le geste et la parole, élargissant ainsi l’imagination et la réflexion à de nouveaux moyens d’expression. L’apparition de la marionnette au Théâtre d’Art et d’Action, théâtre expérimental lié au Bauhaus, de 1919 à 1933 où se développe l’usage de la marionnette, du mannequin et de la sur-marionnette, consacre son expression théâtrale à part entière. Ces avant-gardes ont été une source d’inspiration.
Dans les années 1950-60, la marionnette n’est plus qu’un élément scénique parmi d’autres.
L’acteur marionnettiste à vue, le comédien masqué, les objets et les accessoires en tous genres…Dès 1968, en France, les marionnettes géantes animées, souvent faites d'objets de récupération, participent aux défilés, aux spectacles de rue et aux spectacles sur scène. La compagnie américaine, The Bread and Puppet s’essaye alors à toutes les formes spectaculaires, réformant les structures dramatiques (abandon du castelet, recherches de nouveaux espaces de jeux, mélange des moyens d’expression, liberté de se montrer pour celui qui anime, utilisation d’un langage poétique, renoncement au texte dramatique au profit de la narration).
Le théâtre d’objets est à son apogée dans les années 1980.
Sur la trace des surréalistes qui donnaient aux objets de nouvelles significations et fonctions symboliques, le marionnettiste a découvert les objets du quotidien aux possibilités illimitées, pouvant se métamorphoser en marionnettes et interpréter un rôle dramatique. L’évolution de l’art de Philippe Genty éclaire ce passage du théâtre de marionnettes au théâtre d’objets. Ensuite, Genty se lance dans des expériences qui le poussent vers le théâtre de la matière (métamorphose des tissus). Il est convaincu que le monde matériel est pour l’artiste une source d’inspiration aussi riche que la nature. Un objet, un matériau, un tissu, bien utilisés, sont pour lui plus aptes à transmettre des symboles susceptibles de toutes les interprétations possibles. Montrés et manipulés, ils deviennent une sorte de langage qui mène n’importe quel spectateur ou acteur vers une imagination comprise dans toutes les langues et dans toutes les cultures.
Cette rupture avec la tradition religieuse ou magique puis avec la convention constituée, redonne aux objets le statut de sujet qu’ils ont toujours eu depuis l’aube de l’humanité.
Objets du quotidien, objets fabriqués, ready-made, formes abstraites animées ou non, matières inertes, sculptures, figures, images, ... jouent le rôle de personnages virtuels, voire de personnages dramatiques en face desquels le marionnettiste, l’animateur, le performer ?…, la plupart du temps maintenant visible par le spectateur, doit se repositionner, évoquer « une présence » où chacun est susceptible de puiser ses forces. Dans cet acte de croyance proche de l’animisme, il insuffle de la vie aux objets, aux formes qu’il manipule (Jurkowski, 2000).
Le mot marionnette est employé maintenant avec réticence et même n’existe plus puisque seul le souffle « d’un acteur » crée une identité théâtrale (Intervieuw de Johanny Bert, Art Press, 2015, 12)
Forme, matière et mouvement plutôt qu’animation participent désormais à la construction du sens de la représentation qui se conjugue de bien des manières, reprenant les caractéristiques propres à l’art contemporain : expositions, installations, performances….
La flamboyante sorcellerie des poupées de Nedjar décrite par Jean Dubuffet, suscite un mélange de répulsion et d’attirance. A l’aide de tissus fripés, de chiffons, de sacs en plastique, de plumes et de morceau de bois, de poupées trouvées dans des poubelles, Nedjar amalgame, coud, trempe ces matériaux pauvres dans « des bains rituels » d’eau, de boue, de sang qui opèrent comme des rituels de renaissance et les transforment ainsi en monstrueux fétiches : tas de chairs exhumés de la terre, liés à la mort, exhibés sur la scène des hommes (Danse macabre, Halle Saint-Pierre à Paris, mars 2012).
Au début du 21ème siècle, l’engouement pour la marionnette contamine tout le champ artistique : cirque, magie nouvelle, ventriloquie, vidéo, danse, arts plastiques…
Les frontières sont poreuses. Sculptures, effigies, mannequins, robots, masques gigantesques, poupées, pantins.., se déplacent, circulent, collaborent avec l’ensemble de la production culturelle (musique, télévision, cinéma).
L’invention de la marionnette numérique, en fait un objet connecté qui s’adapte, capte les mouvements et se décline à tout instant multiple. En 2015, au théâtre du Tas de Sable (Ches Panses Vertes) d’Amiens, des éléments numérisés servent le propos dramaturgique de la metteure en scène Sylvie Baillon dans la pièce La tâche sur l’aile du papillon .
Ces esthétiques variées, ces questionnements empêchent la réduction de la marionnette à une forme unique. Maintenant très loin de son rôle attendu de spectacle pour enfant, elle doit affronter une crise d’identité. Sa nouvelle vie, encore peu connue du public et de certains artistes, n’offre plus de repères identitaires à partager (Art Press, 2015,11).
Les objets avec leur matérialité, leur fonction et leur valeur symbolique propres, possèdent une spécificité et la force dramaturgique qu’ils véhiculent permet à beaucoup d’artistes de les envisager dans un continuum des arts de la marionnette.
On peut faire marionnette de tout (Vitez).
Ce foisonnement sème le trouble dans la perception du spectateur. Corps, voix, images, gestes, mouvements, magie et ventriloquie… décalent, dissocient et démultiplient les possibles ; ils offrent un formidable tremplin pour son imaginaire.
Malgré tout, ces nouveaux langages contemporains n’ont pas affecté les formes passées traditionnelles, ils coexistent.