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l'interrogatoire du défunt
La tradition africaine considère la mort comme un phénomène anormal d'origine criminelle. On recherche donc ses causes du côté de la malveillance et de la sorcellerie. Lors d'une cérémonie spéciale, avec une intervention de la dépouille mortelle, on débusque le coupable pour lui infliger une punition. Les anthropologues appellent ce procédé l'interrogation (ou l'interrogatoire) du cadavre et ils en signalent plusieurs formes.
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L'interrogatoire, attesté dans beaucoup d'endroits en Afrique, toujours spectaculaire, a pour but de déterminer la cause de la mort et pour cela on énumère tous les dieux susceptibles de l'avoir provoquée. On demande aussi au cadavre de démasquer en public l'homme auteur de la mort, ensuite on contrôle encore si les funérailles régulières et complètes doivent se faire. Toutes ces informations sont essentielles. On doit obligatoirement les connaître. L'interrogatoire peut aussi se faire au moment des funérailles à l'aide des cheveux et des ongles coupés du mort.
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Grand marionnettiste (1)
Chez les Mossi du Burkina Faso, les restes mortuaires (cheveux, ongles, vêtements....) sont transformés en paquet informe, confectionné aussitôt après la toilette mortuaire (Kerharo ; Bouquet, 1950 : 50-52). La phase suivante consiste à faire bouger et parler ce singulier paquetage. Deux techniques sont mentionnées à ce propos : celle de singo et celle de séongo.
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Pour préparer un singo, la famille du défunt s'adresse à un sorcier, en lui remettant un poulet. Le nécromant égorge la volaille (selon les rites qu'il est le seul à connaître), sépare la tête des entrailles, recueille le sang, ramasse la portion de terre qui en est arrosée qu'il pétrit en petite boule. Il prend ensuite un vêtement du mort (un cache-sexe en général) et une mèche de ses cheveux, ainsi que les rognures d'ongles. Puis, il emballe ces éléments et les attache au moyen d'une liane sur une bûche. Le singo est prêt.
La préparation d'un séongo se déroule presque de la même manière, sauf que le sorcier y rajoute un lézard vivant, une clochette et un bonnet plein d'amulettes. Il fixe ensuite son ouvrage sur une civière et non sur une bûche (celle-ci réservée au seul singo).
Le singo est transporté par deux hommes, le séongo par quatre. Ceux-ci forment avec leur charge un bloc magique. Ainsi parle-t-on d'un singo ou d'un séongo seulement quand ils sont portés. Les porteurs jurent que leurs déplacements sont guidés par le mort en personne.
La chorégraphie de ces "magies" est très impressionnante. Elle commence au signal donné par le sorcier/devin. Après un moment musical et quelques éloges chantées, la scène est plongée dans un profond silence. Hissé sur les épaules de ses animateurs, l'objet entre en transe. Il sautille, dodeline, hésite, avance, recule fait des va-et-vient, se met à courir, et fonce brutalement dans la foule. D'une manière générale, la désignation d'un présumé coupable se fait violemment en le jetant à terre.
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Ce jeu particulier est décrit en détail par le journaliste S. Kaboré (Afrique nouvelle, 19 octobre 1947, texte cité par J. Kerharo et A. Bouquet, 1954 : 52). La séance a lieu au début de l'année 1947, dans la région de Ouagadougou, à la suite d'une épidémie mortelle de méningite. Ayant établi une culpabilité féminine, le spécialiste du séongo réunit toutes les villageoises et donne l'ordre de commencer :
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"Deux jeunes gens frappent un tambour en chantant les louanges du chef de famille qui a demandé l'épreuve. Les quatre porteurs chargent la civière sur leurs épaules. Sont-ils hypnotisés par le Maître du séongo ?... les voilà tout à coup qui filent comme des fous tout devant eux, traversant les buissons épineux, sautant les obstacles...il n'y a que les arbres qu'ils contournent quand même. Des filles du village les suivent avec de l'eau dans des gourdes pour leur donner à boire ou laver leurs visages ruisselants de sueur. Ils posent la civière, non pas à terre, mais sur des bois fourchus et quand celle-ci veut qu'on la reprenne, la clochette s'agite toute seule...
Puis les quatre porteurs et le séongo reviennent tout à coup vers l'assemblée toujours en courant. C'est le moment décisif. Ils passent devant les femmes et, soudain, ils foncent sur certaines d'entre elles à toute allure, les renversant brutalement (...). Les malheureuses se relèvent ; une deuxième fois, une troisième fois, elles sont renvoyées à terre : le séongo les a reconnues (...)".
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Certains montreurs de marionnettes mentionnent l'existence d'une énergie mystérieuse et irrésistible que communiquent à leurs mains des poupées animées. Dans le cas d'un singo ou d'un séongo, on est en présence d'une force post-mortelle communiquant le mouvement et entraînant la clairvoyance. Cette similitude paraît particulièrement intéressante pour le connaissance de la marionnette africaine, au sens large du terme.
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Grand marionnettiste (2)
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Il arrive que le cadavre en personne soit mis à contribution. Traité alors comme une marionnette grandeur nature, il intervient directement dans la recherche de son « tueur ».
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Cette animation de la dépouille mortelle est signalée chez les peuples du rameau Lobi (les Birifor, les Dian, les Dorossié, les Gan, les Lobi, les Téguessié) du Burkina Faso. Nous pouvons la reconstituer grâce aux informations d’Henri Labouret, administrateur colonial et chercheur reconnu.
Tout commence par l’installation du mort sur un brancard porté sur la tête par deux fossoyeurs. Soumis aux impulsions émanant du cadavre, les deux hommes déambulent. Ils avancent, s’arrêtent, changent de direction, inclinent la civière. Leurs mouvements, dont l’allure paraît chaotique, sont en réalité parfaitement mis au point. Cette gestuelle est un langage qui permet au cadavre de répondre aux questions posées par un maître de cérémonie.
« Il n’y a rien d’étonnant pour les indigènes, écrit Henri Labouret (1931 : 320), à ce qu’un corps inerte garde ainsi la propriété de se mouvoir et d’entraîner ses porteurs. Le principe vital qui s’en est séparé est, en effet, resté à proximité et ne s’en éloignera définitivement qu’après les secondes funérailles. C’est lui qui anime la dépouille et s’exprime au moyen de signes convenus. »
À la fin, le brancard s’arrête pile devant une personne. Pour désigner celle-ci comme coupable, soit il reste immobile, soit il s’incline plusieurs fois vers la gauche.
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L’interrogation du cadavre est un préambule à sa préparation et à son exposition spectaculaire pendant les funérailles. Après l’avoir paré de ses plus beaux vêtements, on l’installe sur un grand vase en terre retourné, en position assise et avec les pieds réunis dans une petite poterie, appuyé contre un arbre ou un mur. On l’entoure ensuite de ses richesses (nourriture, outils agricoles, animaux de sacrifice dont pintades et poulets suspendus directement à son corps). Si c’est un homme, on lui fait tenir un arc et un carquois ; si c’est une femme, on lui glisse deux calebasses à manche sous les aisselles. Éminemment théâtrale, conçue comme un spectacle total, cette exhibition dure parfois trois jours remplis de musique, de danse, de lamentos chantés, de déclamation, de discours, de scènes mimées et parlées. Toutes ces expressions, parfois entremêlées, se succèdent et s’enchaînent.
La situation actuelle du patrimoine funèbre est contrastée. Chez les Gouin, ou Goin, (Burkina Faso) qui pratiquaient autrefois l’interrogatoire du cadavre à l’aide d’un simulacre porté sur un lit et animé par de fortes secousses, la simple consultation d’un devin a remplacé le postiche et son théâtre (Dacher, 18 /05/1988)
À l’aube du XXIe siècle, Ugo Monticoni, coopérant canadien au Burkina Faso, témoigne des faits des faits suivants :
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Dans un village proche de Ouagadougou, on enterre une très vieille femme. Pendant que tout le monde danse, quelques « comédiens » recrutés dans l’assistance se livrent à une sorte de commedia dell’arte. Ils jouent les ennemis de la défunte. En vociférant, ils insultent copieusement sa dépouille : ils l’accusent d’être une méchante sorcière dont personne n’a plus besoin, ils hurlent que c’est bien fait pour elle et qu’elle ne mérite même pas d’être enterrée. Une proche parente de la morte se tient dans la foule : habillée comme elle, elle mime avec conviction les événements majeurs survenus dans la vie de la disparue. Ces jeux s’arrêtent au moment de l’ensevelissement du corps. (Monticoni, 2002 : 114).
En pays Bissa (Boyarm, 1950/60 ? : 8-9), c’est lorsque les porteurs font le troisième tour de la concession avec le mort qu’ils s’arrêtent devant le chef de famille à qui revient l’interrogatoire. Celui-ci s’approche des porteurs et dit :
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Gofognan, tu es mort il y a trois jours mais je voudrais avant que tu ailles à ta dernière demeure que tu nous dises les causes de ton décès afin de nous débarrasser des doutes.
Est-ce une mort normale ?
As-tu été empoisonné ?
As-tu fait la cour à une des femmes de la concession ?
As-tu volé ?
As-tu emprunté de l’argent chez nos beaux-parents à notre insu ?
As-tu pris la dot de l’une de tes filles sans nous le dire ?
Le mort prend une part active à son enterrement dont il est l’acteur principal. Au cours du trajet vers la tombe, les porteurs lui jouent quelques farces en donnant l’illusion qu’à travers les mouvements d’avancées brusques, de reculades (retour à sa case), de balancement à droite et à gauche, le mort s’anime et parle. A la fin, le chef de famille lui pose une dernière question :
"Gofognan, je crois maintenant que c’est ton destin, si oui salue la foule et va à ta dernière demeure. Les porteurs s’avancent et passent en revue la foule puis se dirigent directement vers la tombe dont ils doivent faire trois fois le tour également. »
La liste des questions posées par le chef de famille n’est pas limitative, autant de questions posées, autant de réponses exigées…
Maintenant libre, délivré des apparences et de toute toute accusation, il a suffi à ce corps aux réactions et à la dynamique factices autour duquel les hommes s’agitent de cette différence minimale entre « croire et faire croire » pour tourner le dos au réel.
De nombreuses représentations de marionnettes africaines se font l’écho du lien étroit qui lie la figurine animée ou sa doublure et certaines pratiques funéraires.
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Avec simulacre et possession, chaque culture africaine tente de répondre à sa manière à cette question qu’est la mort. L’interrogatoire du défunt en présence d’un public constitue l’une des phases théâtrales les plus spectaculaires du rituel funèbre. Le dialogue est permanent entre le défunt, ses parents et la communauté (Kompaoré 1977 : 363-374).
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© Anita Bednarz 2020
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