Préambule
Partout dans la culture humaine, en Asie, en Inde, à Java et Bali, en Birmanie, en Amérique du Sud, en Occident.., poupées, statues, figurines, bois, mannequins, masques, marionnettes, mais aussi squelettes et cadavres animés par l’homme, souvent grossièrement articulés, ont exercé ou exercent encore un pouvoir de fascination très ancien. Ils assurent le lien avec le sacré. Magie, rituels, aura religieuse permettent d’atteindre et d’exprimer les mythes, les êtres et les entités irréels. A travers les croyances partagées, c’est une vision de l’homme, de son destin, ses aspirations, sa morale qui sont appréhendés et parfois revendiqués depuis l’Antiquité.
En Egypte, les statues animées à l’effigie des dieux sont considérées comme marionnettes. Hérodote (484/424) décrit les fêtes d’Osiris dans le second livre de ses Histoires et parle de figures d’environ une coudée de haut qu’on fait mouvoir avec une corde.
C’est en Grèce que la marionnette perd son caractère religieux. La manipulation glisse progressivement vers l’amusement des enfants et des adultes. A Rome, les spectacles de marionnettes étaient aussi populaires. Horace, Pétrone, Apulée y font allusion tandis que les Pères de l’Eglise les condamnent. Dans le Festin chez Trimalcion, une figure en argent représentant l’esprit d’un mort (larva) exécute une danse macabre sous les yeux des convives. Ce sont les Romains qui auraient introduit les marionnettes en Gaule et en Germanie… … et pur si muove ….
En Afrique, la marionnette traditionnelle aux multiples significations et fonctions rituelles, religieuses et sociales, côtoie depuis longtemps des formes profanes anciennes, proches des marionnettes que nous connaissons. Elles ont été signalées çà et là dès le 14è siècle.
A la fin du 18e siècle, des récits d’explorateurs, de gouverneurs, d’administrateurs coloniaux (Maurice Prouteaux, Maurice Delafosse) et plus tard d’auteurs (Charles Béart, Bernard Dadié) décrivent "des pièces mais aussi des formes profanes proches de nos marionnettes souvent difficiles à nommer et à classer parmi nos catégories européennes", relevées par Henri Labouret.
Le personnage de Tapioca, ce Tchitchavi populaire au Togo et au Bénin ainsi que des marionnettistes jouant en solo sont signalés dans les villages togolais à la fin du 20e siècle.
Les cultures européennes, imprégnées de christianisme et de rationalisme représentent les valeurs universelles dans beaucoup de pays jusqu’au milieu du 20ème siècle et bien des interprétations contradictoires naissent sur ces sociétés africaines. Les observations approfondies de Maurice Delafosse ou de Léo Viktor Frobenius atténuent la vision négative, voire le mépris, de l’Occidental sur les cultures et l’histoire africaines qui, peu à peu, deviennent des lieux de recherche et d’inspiration pour une meilleure connaissance des peuples. Le relativisme culturel né de l’anthropologie de terrain affaiblit davantage une politique coloniale encore assimilatrice.
Les dix-sept états francophones d’Afrique Noire qui accèdent à l’Indépendance (1958-1960), abordent de manière inégale les Arts du Spectacle.
Dans un premier temps, le théâtre comme la marionnette, restent très influencés par l’Occident dans leurs expressions (théâtre écrit en français ou en anglais) et dans leurs techniques (Guignol ou Punch pour la marionnette…).
L'école William Ponty (crée à Saint-Louis du Sénégal en 1903) a formé, avant l'ère des Indépendances, la plupart des instituteurs, médecins et cadres d'Afrique de l'Ouest dont de nombreux ministres et chefs de gouvernement qui infléchissent la politique culturelle des pays ; tout comme des universitaires, devenus dramaturges, formés en Europe, qui rentrent au pays. Sensibilisés par les questions politiques, ils ont souvent acquis une culture marxiste ou socialiste et souhaitent participer au mouvement des Indépendances.
Des politiques culturelles sont initiées un peu partout en Afrique de l’Ouest, avec plus ou moins de moyens mais une grande volonté identitaire.
Sur ce terreau favorable et sous l'impulsion plus ou moins forte des gouvernements, des compagnies nationales se créent et les troupes amateurs sont encouragées. Des compagnies européennes tournent un peu partout .
Au Togo le maître de marionnettes Danaye Kanlanfeï fait connaître la marionnette africaine au niveau national et international, comme l'ont fait le Ghana et le Nigéria, sous influence anglaise.
Dieux, ancêtres divinisés, esprits protecteurs ou malfaisants, animaux mythiques, fantastiques habitent le monde du maître.
Ses marionnettes sont les descendantes naturelles des Tchitchili de jadis (marionnettes sacrées ou petits dieux). En 1978, il crée la Troupe Nationale de Marionnettes du Togo et rapidement, il multiplie stages, formations à l’étranger et rencontres internationales (1988 : Ateliers Rencontres Africaines/Rencontres Européennes à Charleville-Mézières).
Au Burkina Faso, l'homme de théâtre Jean-Pierre Guingané remet au goût du jour la tradition des carnavals en vogue dans les colonies anglaises (Ghana) en mettant sur pied, en 1989, le Festival bi-annuel de Théâtre et de Marionnettes de Ouagadougou (FITMO) ; d’abord en formant les acteurs à la marionnette occidentale via stages et collaborations avec le marionnettiste français Gilbert Pérez puis en fédérant les deux jeunes compagnies existantes (Théâtre de la Fraternité et l’Atelier Théâtre burkinabé) que lui-même et Prosper Kompaoré (aussi homme de théâtre) ont créées une fois leurs études finies en Europe.
C’est sans doute à cause de ce souffle nouveau que l’on dit que l’art de la marionnette africaine est récent et que cette dernière période, profane, née d’une pratique spectaculaire, semble uniquement vouloir être retenue pour commencer à écrire une histoire que seul le mot marionnette détermine....
Parce qu’au même moment, au Togo comme au Burkina Faso (Haute-Volta), masques, marionnettes et leurs nombreux avatars, fétiches, effigies, poupées, statues …enracinés sur le continent africain depuis des temps immémoriaux, accompagnent toujours les hommes au cours de nombreuses cérémonies de la vie quotidienne qui se réinventent dans un cadre semi-traditionnel, mystique, resté en partie secret et sacré.
Connaître la tradition sert à mesurer l’écart entre l’animation de la statuaire essentiellement tournée vers le monde des esprits, des génies et des morts, et la pratique spectaculaire qui révèle un aspect quasi-historique.
Ce sont des matériaux, dont certains glanés au cours de cette période entre le 20 e et le 21e siècle, que nous partageons à la réflexion.