poupon en bois
La mort n’est pas la seule circonstance où se dévoile l’implication de l’art de la marionnette aux moments importants de la vie. La naissance en est une autre. À cette occasion, les Mossi (Burkina Faso) mettent à l’honneur la poupée de fécondité dont l’animation accompagne les premiers instants de la vie d’un nourrisson.
« Le temps de l’esclavage est passé ; je ne laisserai pas partir mon enfant ! », répondit à l’anthropologue Suzanne Lallemand (1973 : 235-246) une vieille dame, refusant catégoriquement de lui vendre une poupée de fécondité. Pleine d’humour mais ferme, cette réplique révèle que la poupée de fécondité n’est ni un simple jouet ni une marchandise, mais qu’elle est un très important objet symbolique. D’une manière générale, on constate une forte présence rituelle et magique dans des activités enfantines.
Appelée biiga (enfant) , la poupée de fécondité mesure entre 15 et 25 centimètres. Sculptée dans une pièce de bois, elle se présente comme un petit cylindre surmonté d’un cou et d’une tête. Le personnage n’a ni bras ni jambes, mais il arbore en revanche la poitrine généreuse d’une nourrice. Il en va de même pour sa coiffure qui est celle d’une femme adulte. La statuette est donc à l’image d’une mère, et non d’un enfant.
Or, elle reçoit les soins réservés aux bébés. Sa jeune propriétaire lui attribue un prénom (féminin ou masculin) ; elle la fait sauter sur ses jambes allongées ; elle la porte dans le dos ; elle lui pratique parfois des lavements par un orifice percé dans le socle.
La petite maman est contrôlée par son entourage féminin adulte : mère, grand-mère, tantes. Plusieurs catastrophes la guettent en cas de négligence : salir sa poupée est une honte ; la faire tomber expose au malheur ; briser son cou (même accidentellement) est un très mauvais présage pour ses futurs enfants charnels, ceux-ci risquant de mourir à cause de sa maladresse.
Jeune mariée, la femme conserve sa poupée. Elle compte sur elle pour concevoir rapidement son premier enfant. En effet, cette prime grossesse, qu’on attribue au pouvoir fécondant de la statuette, est prévue un mois après les premiers rapports sexuels.
Il arrive qu’une épouse en mal d’enfants décide d’acquérir une poupée supplémentaire, dont elle s’occupe comme de sa progéniture en chair et en os absente. Devenue mère, la femme reconnaissante conserve sa bonne poupée qu’elle convertit en objet de culte, en une idole parée, choyée, contemplée.
Le moment particulièrement impressionnant et théâtral est incontestablement le premier accouchement. Il donne lieu à une sorte de jeu, en contrepoint, entre la poupée et le nourrisson. Après la section du cordon ombilical, on tend à la matrone le biiga de la parturiente. La sage-femme l’asperge d’eau et aussitôt après elle lave le nouveau-né. Vient ensuite l’onction traditionnelle avec du beurre de karité dont on enduit d’abord la statuette, puis le nourrisson. À la fin, on pose la poupée sur la natte près de l’accouchée où elle est rejointe par l’enfant que l’on place juste à côté. Le même ordre est respecté (d’abord la créature en bois, ensuite l’enfant) au moment du premier allaitement et de la première installation sur le dos de la mère, selon le mode de portage local.
Cette mise en scène basée sur l’alternance du corps en bois et du corps charnel, de l’objet immobile et de l’enfant remuant, de la statue et de l’être humain, renvoie à une probable antériorité de l’effigie et à son remplacement progressif par l’homme (l’une des théories que l’on avance sur l’origine du théâtre).
Pour des raisons évidentes (mortalité infantile, climat, désertification, catastrophes naturelles, endémies, colonisation, sous-développement économique et guerres), la transmission de la vie (fécondité humaine et animale, fertilité de la nature) est une préoccupation essentielle sur le continent africain. La marionnette et ses divers avatars (telle la poupée de fécondité) participent à leur manière à ce combat pour la survie.
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Aujourd'hui, dans des dimensions moins traditionnelles, la poupée est réservée à un usage artistique.
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